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04 / 12 / 2012, 28 : 12 AM   : [2]
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UNE VEUVE.
C'tait pendant la saison des chasses, dans le chteau de Banneville. L'automne tait pluvieux et triste. Les feuilles rouges, au lieu de craquer sous les pieds, pourrissaient dans les ornires, sous les lourdes averses.
La fort, presque dpouille, tait humide comme une salle de bains. Quand on entrait dedans, sous les grands arbres fouetts par les grains, une odeur moisie, une bue d'eau tombe, d'herbes trempes, de terre mouille, vous enveloppait; et les tireurs, courbs sous cette inondation continue, et les chiens mornes, la queue basse et le poil coll sur les ctes, et les jeunes chasseresses en leur taille de drap collante et traverse de pluie, rentraient chaque soir las de corps et d'esprit.
Dans le grand salon, aprs dner, on jouait au loto, sans plaisir, tandis que le vent faisait sur les volets des pousses bruyantes et lanait les vieilles girouettes en des tournoiements de toupie. On voulut alors conter des histoires, comme il est dit en des livres; mais personne n'inventait rien d'amusant. Les chasseurs narraient des aventures coups de fusil, des boucheries de lapins; et les femmes se creusaient la tte sans y dcouvrir jamais l'imagination de Schhrazade.
On allait renoncer ce divertissement, quand une jeune femme, en jouant, sans y penser, avec la main d'une vieille tante reste fille, remarqua une petite bague faite avec des cheveux blonds, qu'elle avait vue souvent sans y rflchir.
Alors, en la faisant rouler doucement autour du doigt, elle demanda: Dis donc, tante, qu'est-ce que c'est que cette bague? On dirait des cheveux d'enfant... La vieille demoiselle rougit, plit; puis, d'une voix tremblante: C'est si triste, si triste, que je n'en veux jamais parler. Tout le malheur de ma vie vient de l. J'tais toute jeune alors, et le souvenir m'est rest si douloureux que je pleure chaque fois en y pensant.
On voulut aussitt connatre l'histoire; mais la tante refusait de la dire; on finit enfin par la prier tant qu'elle se dcida.
Vous m'avez souvent entendu parler de la famille de Santze, teinte aujourd'hui. J'ai connu les trois derniers hommes de cette maison. Ils sont morts tous les trois de la mme faon; voici les cheveux du dernier. Il avait treize ans, quand il s'est tu pour moi. Cela vous parat trange, n'est-ce pas?
Oh! c'tait une race singulire, des fous, si l'on veut, mais des fous charmants, des fous par amour. Tous, de pre en fils, avaient des passions violentes, de grands lans de tout leur tre qui les poussaient aux choses les plus exaltes, aux dvouements fanatiques, mme aux crimes. C'tait en eux, cela, ainsi que la dvotion ardente est dans certaines mes. Ceux qui se font trappistes n'ont pas la mme nature que les coureurs de salon. On disait dans la parent: Amoureux comme un Santze. Rien qu' les voir, on le devinait. Ils avaient tous les cheveux boucls, bas sur le front, la barbe frise, et des yeux larges, larges, dont le rayon entrait dans vous, et vous troublait sans qu'on st pourquoi.
Le grand-pre de celui dont voici le seul souvenir, aprs beaucoup d'aventures, et des duels et des enlvements de femmes, devint passionnment pris, vers soixante-cinq ans, de la fille de son fermier. Je les ai connus tous les deux. Elle tait blonde, ple, distingue, avec un parler lent, une voix molle et un regard si doux, si doux, qu'on l'aurait dit d'une madone. Le vieux seigneur la prit chez lui, et il fut bientt si captiv qu'il ne pouvait se passer d'elle une minute. Sa fille et sa belle-fille, qui habitaient le chteau, trouvaient cela naturel, tant l'amour tait de tradition dans la maison. Quand il s'agissait de passion, rien ne les tonnait, et, si l'on parlait devant elles de penchants contraris, d'amants dsunis, mme de vengeance aprs les trahisons, elles disaient toutes les deux, du mme ton dsol: Oh! comme il (ou elle) a d souffrir pour en arriver l! Rien de plus. Elles s'apitoyaient toujours sur les drames du coeur et ne s'en indignaient jamais, mme quand ils taient criminels.
Or, un automne, un jeune homme, M. de Gradelle, invit pour la chasse, enleva la jeune fille.
M. de Santze resta calme, comme s'il ne s'tait rien pass; mais, un matin, on le trouva pendu dans le chenil, au milieu des chiens.
Son fils mourut de la mme faon, dans un htel, Paris, pendant un voyage qu'il fit en 1841, aprs avoir t tromp par une chanteuse de l'Opra.
Il laissait un enfant g de douze ans, et une veuve, la soeur de ma mre. Elle vint avec le petit habiter chez mon pre, dans notre terre de Bertillon. J'avais alors dix-sept ans.
Vous ne pouvez vous figurer quel tonnant et prcoce enfant tait ce petit Santze. On et dit que toutes les facults de tendresse, que toutes les exaltations de sa race taient retombes sur celui-l, le dernier. Il rvait toujours et se promenait seul, pendant des heures, dans une grande alle d'ormes allant du chteau jusqu'au bois. Je regardais de ma fentre ce gamin sentimental, qui marchait pas graves, les mains derrire le dos, le front pench, et, parfois, s'arrtait pour lever les yeux comme s'il voyait et comprenait, et ressentait des choses qui n'taient point de son ge.
Souvent, aprs le dner, par les nuits claires, il me disait: Allons rver, cousine... Et nous partions ensemble dans le parc. Il s'arrtait brusquement devant les clairires o flottait cette vapeur blanche, cette ouate dont la lune garnit les claircies des bois; et il me disait, en me serrant la main: Regarde a, regarde a. Mais tu ne me comprends pas, je le sens. Si tu me comprenais, nous serions heureux. Il faut aimer pour savoir. Je riais et je l'embrassais, ce gamin, qui m'adorait en mourir.
Souvent aussi, aprs le dner, il allait s'asseoir sur les genoux de ma mre. Allons, tante, lui disait-il, raconte-nous des histoires d'amour. Et ma mre, par plaisanterie, lui disait toutes les lgendes de sa famille, toutes les aventures passionnes de ses pres; car on en citait des mille et des mille, de vraies et de fausses. C'est leur rputation qui les a tous perdus, ces hommes; ils se montaient la tte et se faisaient gloire ensuite de ne point laisser mentir la renomme de leur maison.
Il s'exaltait, le petit, ces rcits tendres ou terribles, et parfois il tapait des mains en rptant: Moi aussi, moi aussi, je sais aimer mieux qu'eux tous!
Alors il me fit la cour, une cour timide et profondment tendre dont on riait, tant c'tait drle. Chaque matin, j'avais des fleurs cueillies par lui, et chaque soir, avant de remonter dans sa chambre, il me baisait la main en murmurant: Je t'aime!
Je fus coupable, bien coupable, et j'en pleure encore sans cesse, et j'en ai fait pnitence toute ma vie, et je suis reste vieille fille, -- ou plutt non, je suis reste comme fiance-veuve, veuve de lui. Je m'amusai de cette tendresse purile, je l'excitais mme; je fus coquette, sduisante, comme auprs d'un homme, caressante et perfide. J'affolai cet enfant. C'tait un jeu pour moi, et un divertissement joyeux pour sa mre et pour la mienne. Il avait douze ans! Songez! qui donc aurait pris au srieux cette passion d'atome! Je l'embrassais tant qu'il voulait; je lui crivis mme des billets doux que lisaient nos mres; et il me rpondait des lettres, des lettres de feu, que j'ai gardes. Il croyait secrte notre intimit d'amour, se jugeant un homme. Nous avions oubli qu'il tait un Santze!
Cela dura prs d'un an. Un soir, dans le parc, il s'abattit mes genoux et, baisant le bas de ma robe avec un lan furieux, il rptait: Je t'aime, je t'aime, je t'aime en mourir. Si tu me trompes jamais, entends-tu, si tu m'abandonnes pour un autre, je ferai comme mon pre... Et il ajouta d'une voix profonde donner un frisson: Tu sais ce qu'il a fait!
Puis, comme je restais interdite, il se releva, et se dressant sur la pointe des pieds pour arriver mon oreille, car j'tais plus grande que lui, il modula mon nom, mon petit nom: Genevive! d'un ton si doux, si joli, si tendre, que j'en frissonnai jusqu'aux pieds.
Je balbutiais: Rentrons, rentrons! Il ne dit plus rien et me suivit; mais, comme nous allions gravir les marches du perron, il m'arrta: Tu sais, si tu m'abandonnes, je me tue.
Je compris, cette fois, que j'avais t trop loin, et je devins rserve. Comme il m'en faisait, un jour, des reproches, je rpondis: Tu es maintenant trop grand pour plaisanter, et trop jeune pour un amour srieux. J'attends.
Je m'en croyais quitte ainsi.
On le mit en pension l'automne. Quand il revint l't suivant, j'avais un fianc. Il comprit tout de suite, et garda pendant huit jours un air si rflchi que je demeurais trs inquite.
Le neuvime jour, au matin, j'aperus, en me levant, un petit papier gliss sous ma porte. Je le saisis, je l'ouvris, je lus: Tu m'as abandonn, et tu sais ce que je t'ai dit. C'est ma mort que tu as ordonne. Comme je ne veux pas tre trouv par un autre que par toi, viens dans le parc, juste la place o je t'ai dit, l'an dernier, que je t'aimais, et regarde en l'air.
Je me sentais devenir folle. Je m'habillai vite et vite, et je courus, je courus tomber puise, jusqu' l'endroit dsign. Sa petite casquette de pension tait par terre, dans la boue. Il avait plu toute la nuit. Je levai les yeux et j'aperus quelque chose qui se berait dans les feuilles, car il faisait du vent, beaucoup de vent.
Je ne sais plus, aprs a, ce que j'ai fait. J'ai d hurler d'abord, m'vanouir peut-tre, et tomber, puis courir au chteau. Je repris ma raison dans mon lit, avec ma mre mon chevet.
Je crus que j'avais rv tout cela dans un affreux dlire. Je balbutiai: Et lui, lui, Gontran?... On ne me rpondit pas. C'tait vrai.
Je n'osai pas le revoir; mais je demandai une longue mche de ses cheveux blonds. La... la... voici...
Et la vieille demoiselle tendait sa main tremblante dans un geste dsespr.
Puis elle se moucha plusieurs fois, s'essuya les yeux et reprit: J'ai rompu mon mariage... sans dire pourquoi... Et je... je suis reste toujours... la... la veuve de cet enfant de treize ans. Puis sa tte tomba sur sa poitrine et elle pleura longtemps des larmes pensives.
Et, comme on gagnait les chambres pour dormir, un gros chasseur dont elle avait troubl la quitude souffla dans l'oreille de son voisin:
N'est-ce pas malheureux d'tre sentimental ce point-l!

Guy de Maupassant

; 08 / 04 / 2013 18 : 11 PM.