La rencontre
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Petit à petit , le crépuscule plongea la ville dans l'ombre et ,bientôt l'obscurité la couvrit . L'horizon saignant provoquait un sentiment confus . De son balcon donnant sur le côté ouest de la ville , Ali , le jeune instituteur , récemment muté à Tétouan , contemplait les environs d'un regard panoramique . Son regard s'arrêta un instant sur la route du rif qui serpentait au loin , contournant le pied de la montagne avant de disparaître entre les arbres de cèdre . Depuis des semaines , il ne cessait de penser à partir loin de chez lui . de ses élèves , de tout le monde .. Qu'est-ce qui le troublait ?.. La solitude ?.. Il y était habitué .. Les contraintes du métier ? .. Pourtant , il était connu parmi ses collègues de son sérieux , de sa compétence et de sa passion pour sa tâche pédagogique sans compter sa réputation d'être l'un des meilleurs enseignants .. ce qui ne put que le réjouir . Il finit par se résigner : tôt ou tard cela finirait par se résoudre . Il n'y avait aucune raison pour céder à la mélancolie.. mais alors pourquoi ,ces derniers temps , a-t-il le cœur gros ?
Il demeura ainsi pensif et , de nouveau ,son regard rejoignit la route sinueuse , à mille yeux qui pénètrent dans les ténèbres brumeuses .. "Et si je partais ?".. Brusquement, il se dressa .. "Oui.. rien que pour quelques jours .. à travers les montagnes !".. A présent , il se sentait à l'aise .. le cœur allégé . Tout chagrin avait disparu . Aussitôt la décision prise , il regagna sa chambre , se rasa , prit un sac où il fourra non sans hâte un tas d'affaires dont il aurait besoin et sortit vite , comme s'il craignait que quiconque arrivât à l'improviste et troublât sa solitude dont il avait besoin pour prendre une décision , l'esprit net .Puis il sortit faire un petit tour à travers la ville .
L'air frais lui fit du bien . Il reçut , non sans plaisir , les fouets de vent de l'est accompagnés d'une nuée qui rafraîchit son front enflammé . Il était tellement distrait qu'il ne fit pas attention à quelques regards souriants et aux plaisanteries dites en murmure par un groupe de demoiselles .Mais quand il s'en rendit compte , elles étaient déjà loin ..ce qui ne les empêcha pas de se tourner de temps en temps et d'éclater d'un rire innocent . Il sourit à son tour . Son beau visage et sa taille élégante lui procurèrent la sympathie de l'autre sexe . Il était d'une trentaine d'années , beau , grand , svelte à l'air toujours sérieux . Cependant , voilà les années qui passaient sans qu'il songeât à mettre fin à cette vie de célibataire qui , selon les copains , avait trop duré .Cependant , sans donner une justification convaincante, il prétendait , sous la pression des remarques insinuantes , ne pas y penser , car , à son avis , il fallait s'occuper de ce qui était plus important que ce lien qui n'apportait que problèmes et conflits . Il répétait souvent qu'il n'y pensait même pas car , à son avis , on ne devait pas être égoïste du moment que le professeur avait un message et une mission à accomplir.." Ahmed Chaouqi – le célèbre poète n'a-t-il pas dit que le maître avait failli être messager ? Aussi , n'avait-on pas à consacrer notre temps précieux à des préoccupations aussi banales et facultatives ."
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Le car de "Sedraoui" quitta Tétouan vers 14 heures d'un après midi très ensoleillé , à destination d'Alhoceima . Le jeune instituteur , plongea dans ses réflexions , devenues orageuses à mesure que l'autocar s'enfonçait dans la chaîne montagneuse couverte d'arbres de cèdre et d'eucalyptus. Il suivait différemment les fils téléphoniques dans leur mouvement montant et descendant . Son esprit naviguait là où il comptait arriver .. au berceau de son enfance .. Assifane ! En plein cœur de Ghmara . Quels souvenirs ! Ce fut une douce enfance en pleine liberté , à travers les bois et les collines , les vallées et les sommets dominant toute une région d'une beauté incomparable .
Son rêve fut si profond que le contrôleur fut obligé de taper sur ses épaule :" Monsieur .. votre billet s'il vous plaît"
- Euh.. oui .. le voilà .. dites moi .. où sommes-nous ?
- Encore loin de votre destination .. C'est Mdiq ,n'est-ce pas ?
- Oui ..
Le temps passa . Le brouhaha des passagers s'éteignit subitement cédant la place à une mélodie étrange après que le conducteur eut inséré une nouvelle cassette ..Quelle musique ! Ce n'était ni moderne ni populaire . On dirait une sorte de plainte , de râles ou de gémissements . Même l'après midi changea de couleur . Ce fut un rouge excitant les yeux .. Que se passe-t-il ? .. Le car s'arrêta ; par le rétroviseur , le conducteur lui fit signe de descendre .. "Déjà ? –murmura Ali en bâillent – Suis-je le seul à venir ici ?"
Il descendit , étourdi par le bourdonnement du moteur , ébloui par les rayons d'un soleil extrêmement rouge . Il regarda sa montre . Elle était en panne .." Bizarre !..Il devrait être 17 heures.. où suis-je ?"
Seule , en pleine campagne déserte , Ali regarda à droite , à gauche .. Mais ce n'est pas du tout Mdiq !.. Où est la piste menant à Assifane ?.. Où est le poste des forces auxiliaires .. le souk , les quelques maisons et le hangar bordant la route ?.. mais il n'y a pas de route ! Alors , par où est passé le car ? c'est étrange !.. Un silence mortel régnait sur la région . Aucune personne aucun animal ; on dirait une planète inhabitée . Le vent, avec un sifflement effrayant apportait de temps en temps l'odeur parfumée des cèdres , provoquant des tourbillons autour de lui . Ah ! Ça alors ! Je dois être en rêve , c'est sûr.. Il frotta énergiquement ses paupières ;en vain . Alors , une peur glaciale s'empara de lui .. une vraie peur. Il ressentit un danger mystérieux rôder autour de lui , et frémit au moindre bruit provoqué par le crissement des cailloux écrasés sous ses pieds . Il eut la chair de poule et ses cheveux se hérissèrent d'autant plus que les plaintes entendues auparavant reprirent d'un rythme funèbre cette fois-là .. Il ressentit brusquement une nostalgie sans précédent , pour sa ville , sa demeure ,ses élèves !
Pressé par tant d'émotions , il eut envie de pleurer , lorsque des pas le firent sursauter . Il se tourna et fut surpris de voir un vieillard barbu , trapu , en haillons , qui le dévisageait avec des yeux presque invisibles derrière des sourcils gris et épais :
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