Extrait d' une lettre de victor Hugo:Genève et la peine de mort
Genève est à la veille d'une de ces crises normales qui, pour les nations comme pour les individus, marquent les changements d'âge. Vous allez réviser votre constitution. Vous vous gouvernez vous-mêmes ; vous êtes vos propres maîtres ; vous êtes des hommes libres ; vous êtes une république. Vous allez faire une action considérable, remanier votre pacte social, examiner où vous en êtes en fait de progrès et de civilisation, vous entendre de nouveau entre vous sur les questions communes ; la délibération va s'ouvrir, et parmi ces questions, la plus grave de toutes, l'inviolabilité de la vie humaine, est à l'ordre du jour.
C'est de la peine de mort qu'il s'agit. Hélas, le sombre rocher de Sisyphe ! quand donc cessera-t-il de rouler et de retomber sur la société humaine, ce bloc de haine, de tyrannie, d'obscurité, d'ignorance et d'injustice qu'on nomme pénalité ? quand donc au mot Peine substituera-t-on le mot Enseignement ? quand donc comprendra-t-on qu'un coupable est un ignorant ? Talion, oeil pour oeil, dent pour dent, mal pour mal, voilà à peu près tout notre code. Quand donc la vengeance renoncera-t-elle à ce vieil effort qu'elle fait de nous donner le change en s'appelant Vindicte ? Croit-elle nous tromper ? Pas plus que la félonie quand elle s'appelle Raison d'État. Pas plus que le fratricide quand il met des épaulettes et qu'il s'appelle la Guerre. De Maistre a beau farder Dracon ; la rhétorique sanglante perd sa peine, elle ne parvient pas à déguiser la difformité du fait qu'elle couvre ; les sophistes sont des habilleurs inutiles ; l'injuste reste injuste, l'horrible reste horrible. Il y a des mots qui sont des masques ; mais à travers leurs trous on aperçoit la sombre lueur du mal.
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